La malédiction de la valeur-p

La revue Pour la Science a édité au premier trimestre 2018 un numéro hors série : "BIG DATA : vers une révolution de l’intelligence ?" . Un des articles, titré "La malédiction de la valeur-p" traitait un de mes sujets d’intérêt : le mauvais usage de la valeur-p dans la recherche scientifique.

L’article était intéressant et couvrait assez bien le sujet. Toutefois, j’ai remarqué deux énoncés non seulement incorrects, mais aussi incohérents avec le fond de l’article : dans l’en-tête, sous-titré "l’ESSENTIEL", on lit en première remarque : "La valeur-p désigne la probabilité qu’un résultat statistique ne soit pas le fait du hasard" et, plus loin, une note de marge : "Valeur-P : la valeur-p indique dans quelle mesure il est probable que le résultat présenté dans une étude soit vrai et ne résulte pas du hasard. Ainsi une valeur-p inférieure à 0.05 signifie que nous aurions raison 95 fois sur 100 de croire qu’un effet observé n’est pas une coincidence".

Intrigué, j’ai cherché sur internet des informations sur la Professeure Regina Nuzzo, l’auteure mentionnée de l’article. J’ai découvert rapidement qu’elle enseignait effectivement les statistiques à l’Université Gallaudet à Washington DC, qu’elle avait été choisie par l’ASA (American Statistical Association) pour animer le groupe de travail qui a produit la déclararion officielle de l’ASA sur l’usage de la valeur-p, et aussi qu’elle a rédigé un des articles les plus consultés sur les problèmes de la valeur-p – version originale en anglais : Nuzzo, R. (2014), “Scientific Method: Statistical Errors,” Nature, 506, 150–152., ou dans une traduction française, non officielle semble t’il : https://sceptom.wordpress.com/2014/11/10/la-methode-scientifique-erreurs-statistiques-regina-nuzzo/ -. L’article dans Pour la Science semble d’ailleurs assez inspiré de celui de Nature, sans en être une simple traduction 1.

Il est difficile de penser que la Professeure Nuzzo ait pu être l’auteure de tels contre-sens (avec une valeur-p < 0.000001 ). Ayant contacté celle-ci, elle m’a confirmé l’inexactitude de ces deux affirmations. La rédaction de Pour la Science, contactée elle aussi, ne m’a pas répondu. Je ne peux donc qu’avancer une hypothèse : "quelqu’un", qui n’est probablement pas spécialiste, ayant travaillé sur un article qui traite des difficultés que les professionnels même confirmés rencontrent avec l’usage et l’interprétation de la valeur-p, a estimé pouvoir inclure sa propre interprétation de la valeur-p : une façon involontairement ironique de confirmer la malédiction de la valeur-p.


  1. Il y a aussi une erreur d’attribution de citation dans Pour la Science qui n’existe pas dans Nature : "Charles Lambdin, d’Intel Corporation, à même proposé de rebaptiser la méthode « Statistical Hypothesis Inference Testing »… En fait, si l’on consulte la référence fournie (Lambdin 2012 Theory & Psychology 22(1) 67–90 Significance tests as sorcery: Science is empirical— significance tests are not https://doi.org/10.1177/0959354311429854), Lambdin attribue cette phrase au statisticien Cohen.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.